Vie politique en France après 1800

Bien qu'il ait vu initialement dans le coup d'Etat de Napoléon Bonaparte un coup d'arrêt à l'« anarchie », La Fayette refusa d'apporter son soutien à la dictature personnelle du général. Il se retira principalement sur son domaine de La Grange en région parisienne, et mena l'existence d'un gentleman-farmer, tout en cultivant ses réseaux américains. En 1815, il conduisit la députation chargée d'aller remercier l'empereur d'avoir consenti à abdiquer. Les Bourbons furent restaurés, et La Fayette combattit leurs assauts répétés contre les libertés civiles - notamment contre la liberté de la presse, et contre l'indépendance de la justice - soit comme député, soit comme chef de la branche française d'une mystérieuse (et inefficace) société secrète révolutionnaire, les carbonari. En 1830, il joua pour la dernière fois un rôle important lors de la révolution qui mit à bas Charles X et vit l'accession au trône de Louis-Philippe 1er, un « roi bourgeois » a priori plus respectueux des équilibres et libertés constitutionnelles.

La Fayette. Lettre à Thomas Jefferson (fragment - copie). La Grange, August 14, 1814.
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Les journaux et la correspondance ministérielle vous auront appris qu les événements récents ont signifié la chute de Bonaparte, la restauration des Bourbons, et, une fois de plus, la mise en danger des libertés en France et bien sûr en Europe. Les singulières capacités du génial Bonaparte étaient déréglées par son ambition sans mesure, son immoralité, et ce grain de folie qui n'est pas incompatible avec de grands talents, mais qui s'épanouit à la faveur du despotisme qu'il aimait et fit triompher…
Caricatures allemandes hostiles à Napoléon Bonaparte [vers 1814-1815].
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L'ascension spectaculaire de Bonaparte, l'ex-« gamin corse », à la faveur du renouveau des élites militaires et politiques françaises sous la Révolution, lui permit d'asseoir un pouvoir personnel sur une bonne partie de l'Europe, à un prix humain élevé - environ trois millions de soldats, et un million de civils tués. La caricature allemande néglige les réalisations positives de Napoléon (en particulier le Code civil) pour stigmatiser son hybris de conquérant embourbé et défait en Espagne puis en Russie (1812 marquant le début de la fin).

Benjamin Constant, De l'Esprit de Conquête et de l'Usurpation dans leurs Rapports avec la Civilisation Européenne, 1814, exemplaire privé de La Fayette, avec son emblème et sa devise Cur non? (Pourquoi pas?).
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Constant fut encouragé par sa maîtresse, Mme de Staël - en compagnie de laquelle il séjourna à La Grange en 1801, et dont il partagea l'exil politique entre 1802 et 1814 - à organiser la résistance à Bonaparte quand celui-ci s'attaqua aux prérogatives du pouvoir législatif. En outre, il publia De l'Esprit de Conquête..., à Hanovre et à Londres, puisqu'il était censuré en France. Constant y présentait l'empereur comme « un seigneur de la guerre anachronique, complètement en contradiction avec l'orientation commerciale du monde moderne » (R.S. Alexander).

Caricature du roi Louis XVIII, prenant appui sur un aristocrate rassis et un Jésuite haineux [1814 or 1815].
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Certaines mesures prises par les Bourbons en faveur des anciens émigrés et des Jésuites (exilés de France depuis le milieu du dix-huitième siècle, et de retour) ranimèrent les doutes sur leur volonté réelle d'oublier les divisions du passé. L'opposition républicaine et bonapartiste à Louis XVIII (un roi goûteux en chaise roulante, à qui faisait décidément défaut la prestance napoléonienne) eut beau jeu d'exagérer l'alliance entre noblesse et clergé, et de raviver le spectre illusoire d'un retour du féodalisme et de l'obscurantisme.

Duc Armand Emmanuel de Richelieu, note en réponse au Comte Vincent de Vaublanc, ministre de l'Intérieur [1815].
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... Je partage entièrement l'opinion de [M. de Vaublanc] sur la nécessité de n'employer que la Garde nationale comme moyen de répression, et de ne pas recréer de partis, quand tous nos soins devraient être de les éteindre… Le comte de Viomesnil a quatre-vingt ans, et je le crois mal entouré… à force de voir des conspirations imaginaires, on en fera naître de réelles… il faut surtout que l'autorité du Roi soit une…

Cette lettre concerne l'agitation contre les Bourbons et la « Terreur Blanche » durant laquelle des milices ultraroyalistes intimidèrent, violentèrent et parfois même assassinèrent les « Jacobins » et les ralliés à Napoléon pendant les Cent Jours. De telles exactions ne pouvaient survenir qu'avec la complicité de certains services de l'Etat. Les « modérés » comme Richelieu s'opposaient à de telles tactiques de guerre civile, et aux « ultras » paranoïaques comme Viomesnil, un vétéran de la guerre d'indépendance américaine, puis des armées contre-révolutionnaires, devenu à quatre-vingt ans commandant de la division militaire de Bordeaux, et qui fut mis à la retraite avec le grade de maréchal de France en 1816.

François Guizot, lettre à La Fayette. [Paris, August 22, 1829].
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Mon cher Général… On pense a moi pour l'élection de Dijon ; d'autres ont le projet d'y aller. Un des hommes les plus influents est M. Hernoux, ancien maire de Dijon, et qui a siégé avec vous à la Chambre. On m'assure, et je n'en doute pas, qu'une lettre de vous contribuerait grandement à le décider… Pendant qu'on accouchait ailleurs du ministère [Polignac], ma femme est accouchée d'une petite fille qui se porte à merveille, ainsi que sa mère. Ce sera un compagnon pour le petit-fils que Madame de Rémusat vient de vous donner… Je ne crois pas nos ministres en grande sécurité ni hardiesse. Ils rêvent de toutes sortes de folies, de guerre surtout, une guerre de gloire et d'aggrandissement [sic] territorial ; il faut de la gloire à M. de Polignac, et il voudrait bien jeter à la France quelque conquête comme un os à un chien hargneux…

Sous la Restauration, le suffrage censitaire et la présélection des candidats par les préfets favorisaient la cooptation des notables. Mais contrairement aux attentes du pouvoir exécutif, ils inclinèrent de plus en plus vers le centre, en rejet de la politique ultraroyaliste, bigote et répressive de Charles X et de ses ministres-courtisans. Ils voyaient aussi d'un mauvais œil les « guerres distractives » (peu d'observateurs auraient pu imaginer que l'Algérie, dont il est question implicitement ici, serait une colonie française de 1830 à 1962 !). Guizot représente cette nouvelle génération politique. Fils d'un avocat nîmois guillotiné en 1794, il avait démissionné du poste de secrétaire général du ministère de la Justice en 1819 pour aller enseigner l'histoire politique à la Sorbonne. Il devait jouer un rôle de premier plan après la Révolution de 1830. À noter que sa lettre est envoyée au château de Vizille, près de Grenoble, où le La Fayette était alors l'hôte du richissime Augustin Perier, député de l'Isère. Il était le frère de Casimir Périer (député de la Seine, futur président du Conseil de Louis-Philippe), mais aussi le père d'Adolphe, qui avait épousé Nathalie de La Fayette, et de Fanny, mariée a Charles de Rémusat : « clef » de Marsay (personnage de La Comédie humaine de Balzac), futur ministre de Thiers, Rémusat s'était uni en secondes noces à une autre petite-fille de La Fayette, Pauline de Lasteyrie. Tous ces personnages masculins se considéraient comme beaucoup plus sérieux et conservateurs que La Fayette, à l'exception du turbulent et sentimental Adolphe, très proche de son grand-père.

Mary Shelley, lettre à La Fayette, Londres, 11 novembre 1830.
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L’auteur de Frankenstein (1818) félicite La Fayette pour sa participation à la « Glorieuse révolution » de juillet 1830.  Ce rôle fut beaucoup plus controversé et incompris en France. Le général, connu a priori pour son républicanisme, aida en effet Louis-Philippe d’Orléans à devenir roi des Français.

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