La Fayette abolitionniste

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La Fayette ne cessa, sa vie durant, de témoigner une sympathie toute paternalistepour « la partie noire du genre humain ». Sa première rencontre avec des esclaves remontait à 1777 - il s'agissait d'ostréiculteurs en Caroline du Sud. Pendant la Guerre d'Indépendance, La Fayette suggéra d'enrôler des Noirs dans l'armée américaine, et lui-même eut recours aux services d'un ancien esclave, James Armistead « Lafayette », son espion et homme à tout faire. En 1783, il tenta d'associer Washington à une expérience d'émancipation progressive dont il avait eu l'idée en lisant les Réflexions sur l'esclavage des nègres de Condorcet (1781) ; mais il s'embarqua seul - avec sa femme - dans l'aventure guyanaise. Dès lors, il devint une figure éminente du réseau international de militants abolitionnistes. Sa dernière lettre, en mai 1834, fut d'ailleurs adressée à une société anti-esclavagiste de Glasgow.


Jacques Nicolas Bellin, carte des Guyanes, collection privée.
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Louis De Geneste, « Liste d'esclaves nègres sélectionnés par Daniel Lescallier » pour la plantation expérimentale de La Fayette à Cayenne, mars 1789.
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En 1785, la Fayette fit l'acquisition d'une plantation de clous de girofle et de cannelle, « La Belle Gabrielle », située le long de la rivière Oyapok, dans l'actuelle Guyane Française. Il souhaitait y faire la démonstration des bienfaits de l'émancipation progressive d'environ soixante-dix esclaves noirs africains âgés de un à cinquante-neuf ans. Ils/elles étaient payés pour leur labeur, scolarisés, et punis avec la même rigueur que les employés blancs. La Fayette pensait pouvoir démontrer que cette méthode « douce » d'exploitation donnait de meilleurs résultats en termes de productivité et de natalité que l'esclavage traditionnel.

Society for promoting the abolition of slavery, Pennsylvanie, carte de membre de l'avocat, journaliste et agitateur Jacques Pierre Brissot dit Brissot de Warville, 1790.
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Brissot fit la connaissance de La Fayette au milieu des années 1780, quand les deux hommes fréquentaient la frange radicale de la secte pseudo scientifique de Messmer. Lorsqu'il fonda la Société des Amis des Noirs en 1788, Gilbert et Adrienne de La Fayette furent parmi les premiers adhérents (la société comptait cent quarante et un membres en 1789, dont Lavoisier et plusieurs autres fermiers généraux, Condorcet, et l'abbé Grégoire). En qualité de président, Brissot fit deux tournées de visites et de conférences aux Etats-Unis et fut invité chez les Washington, ce qui le rapprocha encore de La Fayette ; cependant, ni leur amitié ni Brissot ne survécurent à la Révolution.

Fers d'esclave ("menottes"), Virginie, 1865.
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James Madison (1751-1836) à La Fayette, novembre 1826.
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Nonobstant l'éloignement vous disposez, au sujet de Miss Wright et de ses expérimentations, de bien meilleures informations que nous n'en avons ici. Tout ce que nous savons, c'est qu'elle a choisi comme terrain un coin retiré du Tennessee, mais nous ignorons ses intentions maintenant que le projet est lancé… Ne serait-il pas plus simple, entre nous, d'obtenir du Congrès qu'il acceptât de financer le rachat de tous les esclaves de sexe féminin à leur naissance, à charge pour leur ancien propriétaire de leur délivrer une éducation élémentaire ? On estime le nombre de naissance d'esclaves de sexe féminin à vingt mille ; ce qui, sur la base de cent dollars l'unité, donnerait un coût global qui serait à peine ressenti par la nation - chaque Etat serait même en mesure de payer. Mais personne ne veut rien entendre sur le chapitre, et il me semble que les deux races ne pourront jamais co-exister libres et sur un pied d'égalité. C'est pourquoi on ne fera pas l'économie d'une terre d'asile pour nos gens de couleur. Dans l'intervalle, tout ceci contribue à dégrader notre image en Europe, ce qui est d'autant plus déplorable que nous ne pouvons du coup exporter notre modèle politique.

Cette lettre fait deux fois mention de l'esclavage : une première fois a propos de la vente de Monticello, le domaine de Jefferson, « nègres inclus» ; la seconde fois a propos de l'expérience tentée par Frances Wright dans le Tennessee. Fille d'un riche industriel du textile écossais, Miss Wright était une admiratrice inconditionnelle de La Fayette - à tel point qu'elle l'appelait « mon père », et tenta de le convaincre de l'adopter ! Impressionnée par son entreprise de Guyane, elle fit à son tour l'acquisition de 1600 hectares pour y faire travailler et y « éduquer » des esclaves noirs achetés auprès de planteurs de la région. Mais sa touche personnelle (la promotion de « l'amour libre ») faisait scandale, et l'absence de viabilité économique du domaine l'obligea à renoncer et à quitter les États-Unis, après avoir transporté « ses Noirs » en Haïti.

« Sale of Estates, Pictures and Slaves in the Rotunda, New Orleans », illustration pour James Silk Buckingham, Slave Estates in America, Londres, 1842.
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La Fayette ne pouvait pas connaître la Rotonde, cette halle de vente aux esclaves, puisqu'elle fut construite en 1838. Mais il fut témoin de scènes similaires à celles que décrit Buckingham, son correspondent a partir de 1830.

La Fayette, lettre à ses filles et petites-filles, La Nouvelle Orléans, 15 avril 1825.
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Dans cette lettre, La Fayette évoque la contribution des Indiens et des Noirs à la lutte contre la couronne britannique, forcée en janvier 1825 d'abandonner ses prétentions sur une partie de la Louisiane et l'ouest de la Floride : ceci était de nature, selon lui, à améliorer le statut de ces deux groupes exploités et humiliés (à noter, l'expression « sentiments anti-Noirs »). La cause abolitionniste progressait dans les années 1820, et la Fayette était un de ses figures les plus respectées internationalement : on lui offrit par exemple la vice-présidence de la Society for the Colonization of Free People of Color of America, fondée in 1816 « pour contribuer au retour des Noirs dans la terre de leurs ancêtres ». Les animateurs de cette organisation, comme le révérend Finley ou Bushrod Washington, neveu du président et premier juge de la Cour Suprême, voyaient dans le rapatriement vers des pays comme le Liberia ou la Sierra Leone non seulement un moyen d'éteindre progressivement l'esclavage, mais aussi d'étendre le christianisme en Afrique, puisque les anciens esclaves étaient baptisés et catéchisés. Tout en croyant à la possibilité d'une co-existence des Blancs et des Noirs, et à l'influence profonde des colonies sur les métropoles, (surtout après avoir lu Heeren), La Fayette pensait qu'Haïti, « le premier état nègre du monde » depuis 1804, était une autre destination possible. Entre temps, les pratiques esclavagistes et racistes aux Etats-Unis l'attristaient profondément.

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