La tournée triomphale de La Fayette aux USA (1824-1825)

Thomas Jefferson, lettre à La Fayette, Washington, 4 novembre 1803.
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Pour ce qui est de votre terrain, soyez assuré que nous faisons de notre mieux. Nous sommes confiants dans la possibilité d'obtenir du Congres qu'il permette la mise à disposition de terrains libres d'exploitation, et agréables. Je voudrais vraiment que vous vous installiez dans ce pays, avec les fonctions de gouverneur de la Louisiane - une des plus hautes charges que nous puissions conférer. La capitale en est La Nouvelle Orléans, un des endroits les plus attrayants de ce pays. Je pense que vous partageriez mon avis… M. Cabanis m'a envoyé son livre, ce dont je l'ai remercié, en revanche rien ne m'est parvenu de M. de Tracy…

En 1804, le gouvernement des Etats-Unis exprima sa reconnaissance à la Fayette en lui faisant don d'un très vaste domaine dans le sud de la Louisiane - une région aux limites mal définies, beaucoup plus vaste que l'actuel état du même nom (voir carte ci-dessous). Jefferson fit quelques suggestions de mise en valeur : son ami pourrait par exemple employer des Créoles ayant fui Saint-Domingue, puisqu'il refusait de faire cultiver le coton et la canne à sucre par des esclaves. Pourtant, La Fayette refusa, arguant que son pays avait besoin de lui, et surtout préoccupé par l'état de santé de son épouse. Il découvrit que le cadeau n'en était pas vraiment un, puisque des fermiers s'étaient déjà installés passim ; pour vendre sa propriété, il dut s'engager dans de longs et coûteux procès. La présente lettre de Jefferson a également l'intérêt de confirmer la proximité de Jefferson avec les philosophes français connus sous le nom d'Idéologues, notamment Cabanis et Destutt de Tracy, l'idole de Stendhal et le beau-père de George Washington La Fayette. En 1811, Jefferson traduisit son Commentaire sur l'Esprit des Lois de Montesquieu, qui eut une influence certaine sur le droit constitutionnel américain. Cornell Library conserve un portrait en médaillon de lui par David d'Angers.

Carte de la Louisiane in Matthew Carey, American Pocket Atlas, Philadelphia, 1805.
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« Un grand homme appartient à l'univers entier ». Lithographie coloriée à la main, 1824.
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Battu aux élections législatives françaises de 1824, La Fayette décida de répondre favorablement à l'invitation qui lui était faite depuis un certain temps par les plus hautes autorités américaines de visiter les États-Unis. Accompagné seulement par son fils Georges Washington et son secrétaire particulier Levasseur, il embarqua au Havre le 12 juillet et parvint à New York le 15 août. Pendant un an et demi, il traversa la côte Est, le Sud, et le Midwest, utilisant tous les moyens de transport imaginables, y compris le bateau à vapeur sur l'Hudson, le Mississipi et l'Alabama, et un ballon dirigeable à New York. L'accueil fut triomphal : le vieux poète Walt Whitman devait se souvenir plus tard avec émotion, dans ses mémoires, du moment ou le vaniteux patriarche le serra sur son cœur sous les acclamations de la foule. Il reçut d'innombrables cadeaux : des objets traditionnels indiens, des armes, du bétail, et même un ours d'Amérique qui, offert au Muséum d'histoire naturelle de Paris, fut le premier de son espèce visible dans un zoo français.

Mots de remerciement de La Fayette à George Washington Parke Custis, fils adoptif de George Washington, pour le don d'un fragment de cyprès recueilli près de la tombe de George Washington à Mt. Vernon.
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Selon le compte rendu publié par Levasseur en 1829, la visite post-mortem à Washington, le 17 octobre 1824, fut un moment d'intense émotion.

Véhicule de pompiers "Lafayette", in David Cadwallader, Memoir prepared at the request of a committee of the Common Council of the City of New York, and presented to the Mayor of the City, at the celebration of the completion of the New York canals, New York, 1825.
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En septembre 1824, les pompiers de la ville de New York exprimèrent « la gratitude du monde occidental » à La Fayette en donnant son nom à l'une de leurs quinze pompes à incendies actionnées à la main.

Groupe de citoyens d'Utica, New York, lettre de félicitations à La Fayette, sans date [1824].
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Nous habitons dans un endroit que vous avez pu voir, il y a quarante ans, dans un état vierge, et couvert de Sauvages des forêts. Ce n'est que récemment qu'ils ont fait place aux aménagements industrieux des homes libres, qui à leur tour ont permis l'épanouissement de l'agriculture, du commerce et des arts… de tels progrès ne peuvent être accomplis que par des hommes aussi énergiques qu'ils sont éclairés …

Lecteur de Montaigne et de Rousseau, et toujours paternaliste envers les minorités, La Fayette n'éprouvait pas pour les Indiens l'ignorant mépris qui s'exprime ici. Il avait d'ailleurs rapporté d'Amérique un serviteur indien qui l'appelait "père" ; et en 1825, il sympathisa avec un chef de la tribu creek William McIntosh (il est vrai baptisé et éduqué à l'Européenne), et avec le Dr. Job Smith, un vétéran de la guerre d'indépendance qui était devenu une sorte de médecin et de « conseil » de la nation iroquoise des Seneca.

Bank draft from Bank of the United States pour la somme de 51 500 Francs. Philadelphia, 28 septembre 1827.
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La Fayette n'était pas indifférent à l'argent. D'une part, il avait été quasiment ruiné par deux révolutions, américaine et française, par une générosité continuelle. D'autre part, il était confronté à la nécessité d'entretenir deux châteaux, mais aussi et d'éduquer et de bien marier trois enfants. C'est pourquoi, en 1825, cet adversaire des Bourbons accepta de bénéficier du milliard des émigrés à hauteur d'environ un million d'euros actuels—une décision controversée, et que ne manqua pas de rappeler Chateaubriand dans un chapitre assassin des Mémoires d'Outre-tombe. En outre, il reçut de l'argent du Congrès des Etats-Unis, argent dont il fit immédiatement profiter des réfugiés politiques italiens, espagnols et polonais ; enfin, il retira environ trois millions d'euros actuels de la vente de ses 4600 hectares près de Tallahassee, en Floride.

Compliment adressé à La Fayette par les demoiselles du pensionnat de Lexington (dans le Kentucky, 1825).
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La Fayette jouissait d'un véritable fan-club féminin, sur deux continents. Mais les demoiselles de Lexington avaient des raisons particulières pour lui adresser cette charmante adresse calligraphiée, accompagnée de rubans et de poèmes : d'une part, Lexington, surnommée « l'Athènes de l'Ouest », était la capitale du comté de Fayette, nomme en son honneur par la législature de Virginie en 1780 ; en outre, la Fayette était un fervent partisan de l'éducation supérieure des jeunes filles.

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