De « rebelle » devenu « héros » : la guerre d'indépendance américaine

Rétrospectivement, La Fayette s'est volontiers présenté comme un franc-tireur et un précurseur ayant brave les interdits familiaux et politiques. En fait, quand il arriva en 1777, il y avait déjà environ deux cent cinquante officiers français ou franco-canadiens servant ou aspirant à servir dans l'armée américaine. Les choses tournaient mal pour les Insurgents, et le Congrès regardait défavorablement des « aventuriers » le plus souvent incapables de parler anglais, et qui réclamaient avec impudence des grades élevés. Nombre d'entre eux, n'ayant rien obtenu, retournèrent d'ailleurs en Europe. Il était toutefois difficile de renvoyer La Fayette, à cause de sa fortune et de son rang ; mais il dut accepter de servir sans solde et sans commandement. Cependant, sa situation s'améliora rapidement, surtout grâce à l'appui de Washington, et peut-être - comme le suggère Étienne Taillemite - du fait de ses connections maçonniques.

Plan de la bataille de Brandywine (11 septembre 1777), vue par un cartographe militaire anglais.
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Pour sa première expérience d'un champ de bataille, le jeune marquis se jeta dans la mêlée : il fut grièvement blessé à la jambe, et s'évanouit. Cet acte de bravoure fit de lui une sorte de mascotte de l'armée américaine vaincue (même si Brandywine fut annoncée comme une victoire en Europe !). En convalescence jusqu'à la fin du mois d'octobre, il multiplia les propositions, notamment l'ouverture d'un second front contre les Anglais, soit au Canada, soit contre leur empire des Indes.

Plan établi à la main du campement des Insurgents à Brandywine, septembre 1777.
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Baïonnette modèle « Brown Bess » trouvée sur le site de la bataille de Saratoga, New York (septembre-octobre 1777).
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Jusqu’à la première guerre mondiale, la baïonnette fut l’arme la plus fréquemment utilisée dans les combats rapprochés. Elle était indispensable, notamment pour les attaques par surprise, et fut utilisée massivement à Saratoga, qui vit la victoire militaire des Insurgents, et la victoire politique du général Horatio Gates (1726-1806), rival de Washington. La polémique reprit contre ce dernier, accusé d’indécision et d’inaction. La Fayette resta fidèle à son « paternel ami », et se vit confier le commandement d’une division de 2800 Virginiens, équipée de cinq canons.

La Fayette, lettre à son épouse, Valley Forge, 6 janvier 1778.
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Cette lettre fut rédigée à Valley Forge, un lieu situé à 35 kilomètres au nord-ouest de Philadelphie, où l’armée de Washington passa l’hiver 1777-1778 dans des conditions de froid, de faim et de dénuement matériel terribles, ce qui explique la tonalité de cette lettre.

Lettre d'Anastasie de La Fayette (alors âgée de six ans) à Georges Washington, à l'occasion du troisième séjour de son père aux États-Unis, 18 juin 1784.
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La surprenante relation « père-fils » entre La Fayette et Washington s'étendit à leurs familles respectives. Le Français nomma ses deux nouveaux-nés Virginie (en 1782, en référence a l'état natal de Washington) et… George Washington (en 1799). On s'échangea des cadeaux. Martha Washington envoya des recettes de pie, et en août 1784, La Fayette offrit à son paternel ami un tablier maçonnique cousu et brodé par son épouse.

Billets de banque de La Fayette, 1773-1778.
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Lettre de Vergennes, ministre français des Affaires étrangères, à La Fayette, 16 septembre 1779.
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Bien que les colonies américaines et la France aient un ennemi commun, il fallut attendre 1778 pour que celle-ci s'engage au-delà du dispositif « armes contre tabac » imaginé par l'auteur dramatique et trafiquant d'armes Beaumarchais, et du « prêt » officieux de soldats et d'ingénieurs militaires. Suite à la reconnaissance diplomatique des colonies américaines, un contingent fut envoyé, sous le commandement de l'amiral d'Estaing, mais il fut défait par deux fois, à Newport (Rhodes Island) et Savannah (Georgia). Dans la lettre reproduite ici, le comte de Vergennes, un des chefs du parti de la guerre à Versailles, montre donc un optimisme prématuré... En même temps, sa remarque perfide à propos d'un coup d'éclat sans conséquence des Insurgents, les 15 et 16 juillet, révèle les tensions et les doutes pesant sur l'alliance franco-américaine. Toutefois, une nouvelle expédition fut planifiée, dans un premier temps avec l'Espagne. Il fut également question d'envahir l'Angleterre - rien de moins ! L'abandon de ce projet fit que La Fayette, un temps réintégré dans l'armée française, s'embarqua de nouveau pour l'Amérique en mars 1780, à bord de L'Hermione.

La reddition des Anglais à Yorktown (1781). Gravure d'après le tableau d'Auguste Couder pour la Galerie des batailles au château de Versailles (1836).
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Alors que le général Cornwallis attendait des renforts dans le bastion fortifie de Yorktown, une nouvelle française commandée par l'amiral de Grasse bloquait le port de Chesapeake Bay, et La Fayette menait de brillantes manœuvres dilatoires, ce qui permit a Washington et Rochambeau de lancer leurs forces contre un ennemi plus vulnérable, et de le forcer à rendre les armes le 17 octobre 1781. Cette victoire éclatante mit un point final au conflit sur le plan militaire. La Fayette prit part aux négociations qui s'engagèrent alors, et aboutirent au traité de Paris et à l'indépendance des États-Unis (1783).

Houdon, Life mask de La Fayette, 1785.
Photographie Herbert F. Johnson Museum of Art.
Don d'Arthur H. Dean and Mary Marden Dean.
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Deux mois après la victoire décisive de Yorktown, en décembre 1781, l’assemblée de Virginie vota à l’unanimité « la réalisation à Paris d’un buste du marquis de La Fayette,  avec le meilleur marbre que l’on puisse trouver pour cet emploi ».  Elle fit injonction à son agent de trouver à Paris « une personne qualifiée ». Jean-Antoine Houdon (1741-1828) fut choisi contre son rival l’Italien Caffieri. Houdon était alors renommé pour sa technique méticuleuse, et son emploi des « masques en plâtre » modelés sur le vif. Son « La Fayette » fut termine en 1786 et présenté par Jefferson au prévôt des marchands de Paris (décapité le 14 juillet 1789) avant d’être exposé dans l’Hôtel de Ville. Toutefois, il fut perdu après les journées révolutionnaires de 1792.  Jefferson avait acquis une copie pour sa « galerie de grands hommes » à Monticello (le grand buste en plâtre peint est aujourd’hui conservé à Boston). Pour ce qui est de cette oeuvre préliminaire, probablement le portrait le plus « ressemblant » que nous ayons de La Fayette en l’absence de photographies, elle fut conservée à Chavaniac jusqu’en 1912.

Le développement de la légende conjointe de Washington et de La Fayette occasionna la production de milliers d'objets de collection ou memorabilia à la fin du XVIIIe, au XIXe et au XXe siècles.

Assiettes en porcelaine de Limoges, série « La Fayette », manufacture D'Arceau, France, 1973.
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Autres images:
La chambre de La Fayette au château de La Grange. Lithographie par Joseph Langlumé [entre 1830 et 1840].
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Apres la mort du « héros des deux mondes », sa chambre fut transformée en sanctuaire par ses héritiers. Dans la lithographie de Langlumé, on reconnaît, au-dessus du lit, une version du Washington à Princeton de Charles W. Peale (1779), et, sur la commode, un buste du même Washington par Houdon. De son vivant, La Fayette plaisantait parfois de la tendresse et de l'admiration presque excessives qui le liait à Washington, son « paternel ami ».

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